Césarine 5 (fin)

Bien sûr la guide ne s’appelait pas Alice Taverne mais Alice Willem puisqu’apparentée à l’ethnologue par sa mère Augustine Taverne, comme l’apprendra plus tard, bien plus tard Césarine ça alors dira Césarine, c’est amusant Augustine est mon deuxième prénom, deux prénoms sacrément encombrants dira Alice mais avec un si charmant sourire que Césarine ne se sentira pas vexée le moins du monde mais au contraire comprise dans ses difficultés, « je me souviens a encore ajouté Alice lors de cette première conversation, puisque c’est bien elle en définitive la petite Alice qui avait fait un passage éclair dans l’école de Césarine, je me souviens donc que les autres se moquaient de toi souvent ça n’a pas dû être facile tous les jours ! ». Plus facile pour moi que pour la petite Fanchon moi au moins j’aimais mon prénom a répondu Césarine, elle détestait le sien tu te rappelles ? Je me demande bien ce qu’elle est devenue cette fille un peu maladroite, qui paraissait toujours comme encombrée de son corps, que tout le monde appelait Fanchon chiffon cochon. » Elles sont tombées d’accord, le monde de l’enfance est un monde cruel pour qui n’est pas dans la norme.

Cette première fois, Césarine n’a pas retenu grand chose de la visite du petit musée, troublée de suivre cette femme volubile vêtue curieusement d’une robe rose mauve évasée aux chevilles, est-ce que ça aussi ne lui rappelait pas quelque chose ou quelqu’un ? Sensible uniquement aux intonations de cette Alice qui lui semblaient si familières, jusqu’à cette expression un peu snob dans la bouche de l’ Alice de ses rêves, sa manière de parsemer ses phrases de « n’est-il pas »… Manie qu’elle a retrouvé dans la bouche de la femme qui lui expliquait comment sa grande tante avait patiemment, avec rigueur et enthousiasme, d’abord avec son père puis toute seule collecté ces objets du quotidien, puis les avait organisés de manière à reconstituer des intérieurs traditionnels paysans : des jeux d’enfants premières poupées chiffons, antiques petites voitures, à la salle de classe avec ses bureaux en bois avec chaise intégrée, trou pour l’encrier, rayure pour les plumes… aux cuisines et leurs rangées de casseroles leurs vieilles cocottes culottées, les crémaillères pour faire cuire dans les cheminées, les tables massives pour les repas, sans oublier les travaux des champs (vieilles agraires, charrues, premiers motoculteurs…). A t-elle été mariée a demandé Césarine ? Alice avait été évasive sa vie affective est un mystère sans doute était elle si absorbée dans son oeuvre qu’elle n’a pas eu d’amant, à moins avait ajouté malicieusement Alice qu’elle n’ai été attirée par les femmes, c’est une rumeur qui court dans la famille mais elle n’a jamais été vérifiée et Césarine avait senti le rouge lui monter au front se remémorant une autre voix, quoiqu’étrangement similaire dans son timbre un peu rauque lui murmurer « Que tu es belle… »

Dans son esprit cette visite devait être un rêve encore, elle allait se réveiller dans son lit et l’air froid du dehors tout en lui faisant l’effet d’une gifle lui avait confirmé que non non elle ne rêvait pas cette fois… Elle s’est retrouvée sans savoir comment dans sa voiture, après s’être arrachée à grande peine de l’attraction qu’elle ressentait. A l’issue de la visite, elles avaient continué de bavarder toutes deux près de la caisse derrière laquelle Aristide lisait toujours. Alice lui avait confié être passionnée par les animaux, elle aurait bien voulu être zoologue mais n’avait pas pu faire d’études supérieures et avait atterri dans un Bep secrétariat, trop fantasque pour s’intéresser durablement à une scolarité trop… Trop… Elle a cherché ses mots s’est interrompue abruptement pour demander « et vous quelles sont vos passions ? » Et à la réponse de Césarine « les oiseaux » elle s’était écriée « c’est formidable il faut que nous restions en contact vous m’emmenerez les observer avec vous ! » Dans l’ombre du petit vestibule ses yeux brillaient et leur éclat était presque insoutenable pour Césarine qui en avait des palpitations, pouvait à peine parler.

Elle repense à tout ça, aimerait dire à tête reposée mais son coeur bat encore la chamade, elle se sent heureuse, presque effrayée de ce qu’elle ressent, cette confusion de tous ses sens, elle touche sa joue là où Alice après avoir griffonné un numéro sur un morceau de papier, a brièvement posé sa main. Une caresse fugace dont elle s’est aussitôt excusée avec un grand rire un peu forcé. « Vous devez me trouver étrange c’est que je vous trouve tellement jolie » et puis elle s’était aussitôt détournée d’elle pour demander à Aristide s’il y avait des visites prévues pour plus tard et sans plus la regarder avait pris la poudre d’escampette par une porte derrière la caisse.

Elle chantonne pour calmer les battements de son coeur. Prend conscience de l’air qui n’est machinalement arrivée à ses lèvres sans passer par la case cerveau et c’est cette chanson tirée de ce film qu’enfant elle avait regardé en boucle sur le magnétoscope de ses parents, la belle au bois dormant ? Recherche les paroles est-ce que ce n’est pas quelque chose comme ?  » Mon amour je vous ai connue au beau milieu d’un rêve, un aussi beau rêve est un présage joli » …

Césarine secoue la tête, ne te monte pas le bourrichon, ne prends pas des vessies pour des lanternes, son esprit s’égare vers toutes ces expressions curieuse dont le français est prolixe, conclut sa harangue intérieure d’un bref  » ne te monte pas la tête, tu es seule depuis trop longtemps et tu as dû vouloir prendre tes désirs pour des réalités »

Pourtant le sentiment de plénitude ressenti en présence d’Alice était bien réel lui et deux jours après cette visite Césarine n’y tient plus. « Un début d’après midi, n’importe comment -explique t elle à Chapo, intriguée de son agitation peu habituelle,qui la contemple de ses yeux verts pailletés d’or- les jeudis il n’y a jamais de clients alors… » Et retournant sa petite pancarte sur « fermé » reprend sa Volvo.

Au musée Aristide surpris de la revoir lui dit que non non Alice n’ est pas là aujourd’hui mais s’il peut laisser un message… Alice dépitée répond que non non pas la peine puis prise d’une impulsion « oh puis si vous avez un papier ? » Et laisse à son tour son numéro à Alice avec une invitation à la rejoindre le soir même à Roanne. « Au cinéma le Renoir passe … Peut-être voudriez-vous le voir avec moi ? »

Début de cette histoire : https://cecilevalentine.wordpress.com/2022/12/30/cesarine/

https://cecilevalentine.wordpress.com/2023/01/14/cesarine-suite/

https://cecilevalentine.wordpress.com/2023/01/22/cesarine-fin/

Césarine 4 (Fin ?)

5 Comments

    1. Et bien guette il ne faut pas toujours se fier au point dit final et une fin pourrait bien en cacher une autre 😉 Bonne soirée et merci aussi à toi ! si Césarine et Alice s’incrustent dans mon blog c’est bien à cause ou grâce à toi et une certaine Dom qui avez tous deux réclamé une suite !

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  1. Comme quoi la vie réserve des surprises et que certaines prémonitions semblent semer de petits cailloux blancs. A nous de les suivre, ou pas…
    Chouette histoire, Cécile. Certains passages sentent les souvenirs d’enfance, l’école, les moqueries dans la cour de récré.
    Et tout ça à cause d’un chapeau ! Hi hihi 🙂
    Biz et amitié. A bientôt !

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