Dans la série des mots un texte : Trio

Férocité frangine figurine ouies. Porte cotre votre. (Noyer)

Depuis ses plus tendres souvenirs ils furent deux puis trois. A présent il n’est que lui et si seul, malgré qu’ici et il goûte l’ironie de la chose, on ne soit jamais seul.

Les deux se connaissaient depuis l’enfance, du même âge à quelques mois près, Jonas était l’ainé, ils avaient mélangé leurs petites voitures et figurines, croqué dans les même goûters de pain et de chocolat chez l’un, de brioche configurée chez l’autre ; riaient en miroir de leurs moustaches de lait. Ils avaient même fait vers 10/11 ans le même stage de planche à voile. Celui où la planche de Jeremiah avait tant dérivé qu’elle avait heurté un cotre au large et c’ est le capitaine qui l’avait ramené sain et sauf…

C’est qu’ils habitaient dans le même immeuble, les portes de leurs logements se faisaient face sur le même palier, leurs parents s’invitaient pour l’apéro.

Elle, Juliette, qui venait de l’autre coté du quartier, avait débarqué avec ses couettes et son sourire du bonheur dans la cour de récréation un jour de septembre, l’année d’après, les trois ne s’étaient plus quittés. Des marelles aux premiers émois, ils avaient partagé en trois les petits pains, plus tard les premières cigarettes, la premiere murge et même les premiers joints.

Arrêt sur image de leur vie d’avant quand tout allait bien. Elle, petite et brune avec de longs cheveux soyeux shampouinés à l’amande, drôle, souvent caline, un peu fofolle, prête à tout goûter de la vie. Lui, blond gras, un peu trapu, grandi trop vite, le corps empêché, timide. L’autre, leur idole comme celle de tous, depuis la maternelle, cheveux frisés regard lumineux, grandes écharpes tapes à l’oeil, osant le contre courant, coquet et disert. Un peu pédant parfois de trop d’érudition mais quand il se mettait à discourir, ses amis étaient tout ouie.

Distants quoi que bons camarades avec tout le monde, ils réservaient à eux seuls leur intimité et au collège on les appelait les trois J ( J comme Juliette Jonas, Jérémiah) ou le trio. Jamais par leur nom.

Oublieux de tout, ils refaisaient le monde et se suffisaient que ce soit à la cantine, dans la cour au café, en boite ou chez Jérémiah chez qui ils atterrissaient près d’un soir sur deux, les parents de Jérémiah, commercants, finissant tard.

Elle était comme sa frangine de même que lui, était son frangin (ou tout comme). Du moins c’est ce qu’il croyait. Lui n’aurait jamais pu admettre, à l’heure des premières tendresses, qu’en fait il l’aimait.

Le lycée les a séparés. Hasard des talents, le destin les a amenés chacun dans un lycée différent. Dans la petite ville de R où ils habitaient il y avait trois lycées aux profils très affirmés.

Lui Jonas le taiseux timide, plus à l’aise avec les chiffres qu’avec les gens s’est retrouvé à Marie Curie le lycée scientifique ; Juliette que l’école ennuyait depuis toujours a choisi d’aller faire de la gestion au lycée Technologique Marcel Sembat ; quant à Jérémiah bien sûr avec son profil littéraire il ne pouvait que rallier Jacques Prévert.

Jonas songe souvent que c’est là que tout a commencé, que le destin s’est mis en branle. Il regarde alors sa cicatrice sur le bras, revoit ce moment mi- solennel mi-ridicule, du moins de son avis à lui – Jeremiah qui le leur avait proposé était en revanche très sérieux-, où ils ont mélangé leur sang. Il revoit le regard de Juliette, plein de larmes contenues et ressent de nouveau dans sa chair cette envie, réprimée à grand peine, de lui lécher celle unique qui avait coulé le long de sa joue tandis qu’elle s’entaillait courageusement avec le couteau de Jérémiah.

« A la vie à la mort » a clamé Jérémiah et tous deux ont répété « A la vie à la mort » avec le même rire un peu nerveux, fustigés du regard par Jérémiah et c’est là que Jonas, son bras tremblant serré contre le bras chaud de Juliette a compris qu’il l’aimait d’un amour sans espoir, aussi insatiable qu’impossible. Parce que Juliette, il le savait, n’avait d’yeux, n’aurait jamais d’yeux que pour Jérémiah…

Le premier trimestre tous trois ont continué à se voir, puis moins. puis plus…

Jonas se sentait de plus en plus mal à l’aise en présence des deux, leur évidente complicité qu’il ne partageait plus lui procurait de sombres pensées et il se surprenait à les épier du coin de l’oeil, guettant des signes d’une intimité plus profonde qu’ils lui auraient cachés mais rien ne transparaissait et il ressortait de ces retrouvailles toujours plus malheureux et confus. Il ne retrouvait son naturel que lorsqu’il voyait Jérémiah au rugby, activité qu’ils pratiquaient ensemble et aimaient tous deux.

Jonas prenait au rugby un plaisir secret et coupable. C’était le seul domaine avec l’abstraction pure des chiffres où il excellait, là son corps un peu massif, objet de complexe le reste du temps, était un avantage. Il ne l’aurait jamais avoué, se l’avouait-il ? Ne pouvait s’empêcher de ressentir une joie mauvaise quand l’entraineur qui les savait amis reprenait Jérémiah sur l’une de ses passes en lui donnant Jonas pour exemple.

Jérémiah, si sûr de lui, inaccessible à cette envie qui dévorait Jonas… Par moments Jonas ne savait plus s’il l’admirait ou le détestait.

L’année est passée ainsi dans cet état de confusion dans lequel le sentiment de perte amicale se faisait moins cuisant au fil des mois mais la solitude elle toujours plus pesante. Il a bien tenté, dans sa classe, au club de nouer des relations mais en vain. Force était de constater qu’il n’était pas doué pour ça.

Les rares fois où Jérémiah et lui se sont croisés, il ne savait trop quoi lui dire et de toute façon Jérémiah tenait le crachoir pour eux deux racontant ses derniers coups de coeur littéraires et, au soulagement caché de Jonas, évoquant de plus en plus souvent une certaine Lola Votre qui lui faisait du gringue dans sa classe.

De Juliette il n’a eu que quelques sms durant toute la deuxième partie de l’année. Sur Insta elle changeait souvent sa photo de profil il allait regarder parfois, surtout au début, de façon même compulsive, craignant de l’y voir avec Jérémiah et puis il s’est inscrit à des concours et des défis de math, n’a plus fait que ca, délaissant au grand dam de ses parents, les autres matières.

Ses parents… Jonas y pense, il a tant de temps pour penser à présent, il ne les voyait pas beaucoup non plus… avait pris le parti de fuir une ambiance familiale pesante dans sa petite chambre-cocon au bout, tout au bout du couloir. Sa mère un peu effacée, petite souris dont la timidité ordinaire était entrecoupée de colères aussi subites qu’inattendues, qui piquait des fous- rires hors de propos, rires interrompus bien souvent par son père d’un simple regard… Son père celui qu’il appelait en secret Mister Jekill depuis qu’il avaut lu en quatrième Oscar Wilde…. D’une jovialité à toute épreuve pour toute personne extérieure à la famille, véritable tyran domestique, bougon et critique, dès lors qu’ils se retrouvaient tous les 3.

Jonas n’a méme pas essayé d’expliquer ce qu’il vivait aux deux autres J, lorsqu’il s’en était ouvert à Jérémiah un soir, au plus fort de leur amitié, celui-ci l’avait regardé incrédule « tu n’exagère pas un peu ?  » Et Jonas n’avait pas continué, il avait ri d’un rire un peu forcé, « oui tu as raison sans doute » et changé de sujet. Il l’entend encore cette phrase « tu n’exagères pas un peu » et le sujet n’a plus jamais été abordé… Même lorsque les relations s’étant dégradées, les premiers bleus sont apparus sur les bras et les jambes de sa mère. Les premiers bleus ? Ou les premiers que Jonas a remarqué ? Il s interroge à présent, cette habitude qu’il avait de toujours s’endormir avec son casque sur les oreilles ? Il disait ne pas supporter le silence. Est-ce que ce n’était pas pour ne pas entendre quelque violence émergeant du silence ?

Du silence ici il n’y en a pas, jamais, ni le jour ni la nuit. Mais des cris, des portes qui claquent, des bruits de serrure… Jonas en a compté quatorze, quatorze lourdes portes jusqu’au cocon reconstitué, sa petite chambre…

L’été suivantJonas s’est inscrit à un chantier pour jeunes et avec le petit pécule ainsi réalisé à un stage de trimaran. Il n’a pas contacté les autres J et s’en est trouvé bien.

Et puis c’est l’année d’après un soir de fin septembre qu’il sortait du lycée la tête heureuse car farcie d’équations complexes avec la perpective d’un week-end studieux qu’il l’a vue, elle, Juliette, nonchalamment adossée au mur de la boulangerie de l’autre côté de la rue.

Elle était seule et paraissait l’attendre puisque lorsque leurs regards se sont croisés son visage s’est illuminé. Lui n’a pu se retenir de rougir. Toujours cette émotion à fleur de peau (tes vapeurs de fillette le raillait son père) tandis qu’il traversait pour la rejoindre. « Salut Ju qu’est ce que tu fais là ? » se rappelle-il avoir bougonné, il avait enfoncé ses mains tremblantes dans les poches de son fute attentif à ne pas lui montrer le plaisir qu’elle lui procurait.
Tout aussi laconique, elle a lâché « besoin de te voir » puis avec un « tatam » retentissant tout droit hérité de leurs rituels écoliers elle a sorti de son sac un sachet de friandises haribo, il a noté avec gratitude la présence de plusieurs réglisses en rouleaux, sa friandise préférée, elle s’en était rappelée !

Il faisait doux, l’été indien, ils s’étaient vautrés sur la pelouse du square, place des pauvres gens (en référence à une statue très ambiance Zola-Germinal a songé Jonas-qu’aurait dit Jerémiah-pourquoi fallait-il qu’il l’invoque à ce moment ?-) qui les surplombait, leur faisait de l’ombre… Un noyer perdait ses noix à proximité et Jonas les assemblait en pyramides instables tout en écoutant Ju.

Il garde dans la mémoire de son coeur ce moment, l’intonation restée un peu enfantine sous le léger voile rauque de trop de cigarettes de Ju et retrouve dans ses mains la sensation procurée par les coques des fruits tièdes, le renflement réunissant les deux faces ridées, le miracle de leur perfection.

Il ne sont pas sortis ensemble ce jour là, ça s’est fait progressivement, Jonas se souvient de la coque écrasée dans son poing, quand Ju a évoqué le pourquoi de sa présence, pour finir ils étaient bien sortis ensemble Jérémiah elle ça c’était produit au début de l’été « Mais Jonas il ne s’est pas passé grand chose hein ? Quelques baisers c’est tout  » avait elle murmuré, sa main posée sur la sienne quand elle l’avait vu pâlir !

Plus tard elle lui dira que c’est là et seulement là qu’elle avait compris qu’il l’aimait. Mais ce jour là dans l’ombre de la statue, Ju a pleuré pensant à l’ingrat, le lâche qui sans lui dire que c’était fini l’avait délaissée dès septembre, qu’elle l’avait vu, main dans la main avec l’autre cette pouf, cette salope, cette blondasse, cette…. Ju n’avait plus de mots assez forts, a fini plus sobrement avec un hoquet de chagrin :  » tu sais ? Cette Lola qu’il a retrouvé dans sa classe…  »
Il a osé la prendre dans ses bras, « pleure ca va te faire du bien » et elle a pleuré longtemps sur son épaule. Lui la serrant chastement, heureux d’être celui choisi pour son confident.

L’ombre … Cette ombre qu’il recherchait souvent, lui qui n’aimait pas se mettre en lumière contrairement à Jérémiah… L’ombre, il sait qu’il n’a pas fini d’y être depuis… Depuis il ne sait quoi qu’il aurait fait… bienheureuse ou funeste amnésie ?

La suite on la devine Jonas lui même ne saurait dire comment ca s’est fait. Cinéma, balades… Le jour où elle s’est serrée contre lui à la faveur d’un thriller, celui où tout en lui proposant une glace, ce qu’il faisait lourd cet automne là, elle a glissé l’air de rien sa main dans la sienne, la confusion de Jonas, lorsqu’il a vu devant le glacier et leur faisant face Jérémiah et la blonde Lola, « pas si pouf », a-t il pensé se sentant aussitôt déloyal ; Le bonjour un peu trop théâtral de Ju, la vigueur de sa main lorsqu’elle l’a entrainé presque à heurter l’autre couple avant de dire « bon la place est prise allons voir le glacier de la rue piet’ ! »

Cest ce même jour se remémore Jonas que Juliette l’a embrassé à pleine bouche. La bouche aromatisée sorbets framboise et mangue était fraiche et ils ont ri tous deux de sentir leurs dents s’entrechoquer.

S’ensuivirent quelques jours fiévreux, avec une Ju qui finissant plus tôt l’attendait tous les soirs, le bonheur submergeait Jonas qui a vécu cette période dans un sentiment d’euphorie matiné d’anxiété. Chaque fois qu’il voyait s’éloigner Juliette, son pas léger, dansant sur le pavé de la grande rue, il lui semblait tomber dans un gouffre. Allait-il la revoir ? Le miracle de sa présence aimante serait il renouvelé ? Il ne dormait plus beaucoup, ses résultats s’en ressentaient mais pour la première fois de sa vie il ne s’en préoccupait guère.
Certaines nuits, surtout la première semaine elle multiplait les sms tous plus calins et sentimentaux, à court de reparties il lui envoyait des « je t’aime » majuscules agrémentés de lignes entières de points d’exclamation.

Une nuit elle ne dit rien et quand maladroitement le lendemain il voulut savoir pourquoi elle botta en touche le traita de « benet que je t’aime tu le sais ».

Un jour elle ne vint pas, ca faisait trois petites semaines qu’avait commencé leur histoire, déjà elle se lassait, il n’en a pas dormi de la nuit l’inondant de ses sms auxquels elle ne répondit pas…

Trois jours, puis six passèrent sans nouvelles de Juliette sinon un bref texto au soir de ce premier jour de disette amoureuse « besoin de réfléchir, t’appelle plus tard  »

Jonas n’osait pas aller traîner du côté de chez elle ou de son lycee. Il avait cherché le deuxième jour à interroger Jérémiah rencontré sur leur palier mais celui-ci avait dit « non non je ne l’ai pas vue depuis des semaines » puis s’était détourné, il allait faire des courses, il fallait qu’il se dépêche les magasins allaient bientôt fermer, « Mais Jérémiah … A balbutié Jonas s’adressant au dos du garçon déjà loin, il n’est que 17h ! » Avant de se faire la réflexion que Jérémiah n’avait même pas le cabas à provisions qu’il prenait en général.

Jonas ne quittait plus son portable de peur de manquer un appel ou un sms, il le regardait sans cesse, se le fit même confisquer un jour par son prof de svt excédé, « Vous irez le rechercher à 16h chez la CPE. » Cette journée là, Jonas la passa dans une agitation telle que Clément, le seul garçon qui lui témoignait dans sa classe quelque sympathie, lui lanca « et bien Jonas qu’est-ce qui t’arrive on pourrait croire que tu souffres de nomophobie.  » Et de réciter taquin « nomophobie : anxiété aiguë liée à l’éloignement de … » Jonas l’a coupé « je sais je sais ce que c’est la nomophobie mais fous moi la paix tu veux ?  » avançant sur lui les poings serrés. « C’est bon ok » a dit Clément conciliant puis s’est éloigné rapidement tandis que Jonas desserant les poings respirait profondément.

Clément dira « un bon camarade Jonas toujours prêt à donner ses préparations ou aider celui qui pataugeait dans un exercice, surtout en maths où il est balaise mais il avait parfois ces accès de colères, cette lueur dans le regard … Lueur comment demandera l’avocat de la partie adverse… « meurtrière » suggèrera-il ? Objection votre honneur criera Maitre Tamain l’avocate de Jonas. Objection approuvée dira la juge Maître vous influencez le témoin. »

Le soir du sixième jour un vendredi Jonas a récupéré son portable. Il aurait volontier tué le surveillant qui le lui a tendu avec un petit sourire narquois et a dû prendre sur lui pour supporter le long sermon de la CPE. Lorsqu’il a pu s’échapper, il a dévalé les escaliers.

C’est ce soir là que n’y tenant plus il est allé trainer dans le quartier de Juliette, rasant les murs de peur d’être vu, personne ne l’a remarqué mais lui en revanche a bien vu Jérémiah, de dos certes mais reconnaissable entre mille, à sa grande écharpe couleur fushia, entrer dans l’immeuble de Juju…

Le coeur de Jonas saigne encore à ce souvenir, il s’est précipité sur la porte qui venait de se refermer, s’est avisé qu’ il n’avait même pas le code d’entrée. Il s’est enfui, il a couru.

« Parloir pour le matricule 512 » , la voix se répercute dans les couloirs de la prison. Jonas ne veut pas.

– « C’est elle n’est-ce pas ? C’est Juliette ? -demande -t-il au maton venu le chercher dans l’atelier.- Oui c’est bien Mademoiselle Boivin. Dites lui de ne plus venir s’il vous plait. Je ne veux pas lui parler. – Comme tu voudras » soupire Christophe.

Visser des boulons, Jonas se concentre ou du moins le voudrait mais reste attentif au bruit de porte, quatorze il a compté, qui accompagne le départ de l’éconduite. Il ne l’a plus pas revue depuis… Ses mains tremblent, il caresse machinalement la cicatrice à son poignet, cette blessure qu’il s’est faite lui même, après, l’autre était venu sans couteau… non il ne veut pas parler à Juliette, pourquoi ? Ce qui est fait est fait… Jonas ricane, l’amertume lui colle un mauvais rictus sur le visage. Ses co-détenus s’écartent de lui avec prudence lorsqu’ ils voient cette expression sur le visage du jeune homme. C’est qu’il n’est pas commode et se bagarre volontier avec qui lui chercherait noise.

Cette nuit là, il était rentré très tard, si pâle que ses parents n’avaient rien osé lui dire. La nuit entière il s’est tourné et retourné dans son lit se passant et repassant la scène à l’endroit, à l’envers, mais toujours le dos, l’écharpe, avait il vraiment vu Jérémiah ou quelqu’un qui lui ressemblait ? est-que ce n’était pas une simple visite amicale ? Son esprit lui présentait des alternatives consolantes mais le coeur de Jonas savait bien que non… Le lendemain seulement son portable muet depuis des jours a sonné, le sms laconique n’en a pas fini d’être lu dans sa tête, « Pardon Jonas, j’aime Jérémiah et nous nous sommes remis ensemble ».

Triste anniversaire pour Jonas que celui de ses dix-huit ans, Jonas est né début novembre et attribue à ce mois triste ses tendances à la morosité, mais ces anniversaires étaient joyeux lorsqu’ ils les fêtaient ensemble avant. Juliette lui a envoyé un « bon anniversaire Jonas restons amis » auquel il n a pas répondu. Jérémiah a sonné vers 17h, ses parents étaient sortis et Jonas sachant que c’était lui-depuis l’enfance ils ont un code un coup long trois coups brefs- n’est pas allé ouvrir, Il a fallu le soir faire bonne figure à ses grand-parents oncle et tantes invités pour l’occasion. S’extasier sur les cadeaux : Des jeux pour sa play station, un beau couteau rétractable avec un manche sophistiqué rouge lie de vin.

Le seul point positif dans l’histoire : ses parents impressionnés par sa mine défaite et tenus à distance par son regard furieux décourageant toute tentative de dialogue lui foutaient une paix royale.
Jonas avait abandonné toutes prétentions aux études et ses notes étaient en chute libre sauf en sciences où ses facilités lui permettaient de garder un niveau honorable. Il fuyait toute rencontre avec Jérémiah, guettant avant de sortir les bruits de porte ou d’ascenseur sur le palier, passait des heures sur Assassin ‘s creed dans sa chambre, dégommant à tout va. La nuit, le jour n’étaient plus que des vocables sans réalité et il fallait l’appeler pour les repas.

Ici Assassin’s creed ne lui manque pas, il a pris le jeu en horreur, serait-il allé jusque là s’il n’avait pas perdu pied avec la réalité ? Lorsqu’on lui parle de ce qu’il a fait il a tout juste envie de se retourner derriere lui pour voir où est le monstre dont on évoque le méfait. Lui ne se rappelle de rien et le dira obstinément à toute personne qui l’interrogera, avant, après, oui mais l’acte lui même, non, il ne se rappelle pas.

Et puis un jour de décembre ou était-ce encore fin novembre ? Son portable a sonné affichant le numéro de Ju, il avait beau l’avoir effacé de son répertoire, ce numéro 06 66 2830 n’était pas sorti de sa mémoire. Il faut dire qu’ils avaient, comparant leur numéros, rit de la coincidence qui leur donnait 4 chiffres en commun dont Juju l’avait noté avec une sorte de jubilation, le nombre diabolique. Le numéro de Jonas 06 66 22 25.

« Jonas viens il faut que tu viennes … S’il te plait … dans notre jardin sous la statue »

Pourquoi a-t il répondu il n’aurait pas du … Quand il ne se laissait pas envahir par la nostalgie de ses baisers, souvent sucrés car la traîtresse est gourmande, c’est la haine qui lui venait : elle avait tout gâché….

Ils étaient heureux tous les deux Jérémiah et lui… Avant.
« Jonas viens il faut que tu viennes … S’il te plait … »

Mais bien sur il n’a jamais su dire non, surtout pas à elle, il est venu.

Plus tard il dira :  » elle pleurait sur mon épaule, elle me disait  » Parle lui il t’ écoutera » – Mais pourquoi et lui dire quoi ? Elle a fini par me raconter que Jérémiah ne voulait plus lui. parler, qu’il était devenu distant.

Il racontera à la juge lors des audiences préparatoires : Quand elle m’a dit toujours hoquetant qu’il avait repris avec l’autre, Lola, celle pour qui il avait déjà quitté Juliette au début de l’année… Qu’elle les avait vus main dans la main. se promener rue Cassendi J’avoue, j’ai vu rouge. Il n’avait pas le droit de jouer comme ca avec nos vies…

Ce qu’il n’a pas oublié qui est inscrit en lettres rouges sur le fond noir de ses insomnies, le brûle derrière les yeux…

–  » Il faut l’oublier Juliette l’oublier,
– Je ne peux pas Jonas pardonne moi je ne devrais te le dire â toi mais lui je l’ai dans la peau.
Et lui bêlant se haissant aussitot pour ça… :
– et moi mais je t’aime moi
Soufflé qu’elle lui dise tout tranquillement :
– je t’aime aussi je vous aime tous les deux mais lui je l’ai dans la peau et tu le connais si bien tu sauras lui parler. »

C’est ce soir là que rentrant l’esprit embrumé entre amour et colère, qu’il a croisé Jerémiah dans l’escalier, failli heurter serait plus exact, celui-ci descendait en courant, et n’ avait eu que le temps de se plaquer contre le mur, son sifflotement arrêté net.

– « Hey vieux qu’est ce que tu fous planté au milieu » lui a-t il lancé de son ton amical habituel, tout comme s’il ne s’était rien passé entre eux.
-il faut qu’on se parle je dois te parler – s’est surpris à dire Jonas d’une voix rauque, lui qui venait d’expliquer pendant une heure à Juliette qu’il ne ferait rien pour l’aider, – ce n’était pas, plus, lui avait il dit et répété, ses affaires » –
–  » Me parler de quoi ? J’ai pas le temps lâ, a rétorqué Jérémiah dansant d’un pied sur l’autre, scuse vieux j’ai à faire.
– ce soir sur le parking d’Aldi lâ où on a fumé notre première clope tous les troistu te rappelle ?
– ce soir ?? C’est que j’ai une soirée…’
– 2h ! 2h ça te va ? 2h sur le parking d’Aldi
– ….
– c’est à propos de Juliette
– Juliette mais…
– et t’as intérêt d’être là »

La suite lui a été racontée au poste de police quand après un interrogatoire serré les enquêteurs ont constaté sa bonne foi.

Jonas n’avais aucun souvenir. Il a contemplé la preuve sous plastique mais si reconnaissable, ce couteau offert pour son anniversaire couvert de sang, le sang de son meilleur ami, son presque frère, et ses empreintes…

– « Pourquoi a-t il amené ce couteau ? » C’est ce que les enquêteurs lui demandent. Dix fois quinze fois pourquoi ? …

Jérémiah est venu les mains nues.

– « Je voulais lui parler de Juliette, juste lui parler je vous le jure.

– 18 ans la semaine dernière mon grand ? lui a dit patelin le gros enquêteur celui qui jouait le rôle du flic paternaliste. Tu vas manger bon a renchéri le petit nerveux. Tu as intérêt à jouer franc jeu ! ont ils dit en choeur …

– Est-ce que tu étais jaloux ?

-Jaloux ? Non ! Je voulais qu’elle soit heureuse je voulais qu’il soit correct avec elle et il n’arrêtait pas de la mener en bateau !

– Quand même 17 coups de couteau, quel acharnement, quelle férocité !! Tu devais bien lui en vouloir un peu » a ironisé le petit nerveux.

Jonas ne savait pas ne savait plus ne se rappelait pas… il a avoué tout ce qu’on voulait. Pour que ça s’arrête.

Sidéré c’est lui l’assassin.
Lui qui ne leur voulait que du bien…Lui…

Sa mère est venue l’autre jour, c’est la seule qui vient le voir, son père dès qu’Il a su a dit je n’ai plus de fils et Jonas se demande ce que ca change pour lui a- t il déjà eu un père ? Il dit : « Prends soin de toi maman » se détourne du regard embué presque honteux de sa mère. N’ose pas lui dire de ne plus venir. N’a-t elle pas de nouveaux bleus ? Cette trace sur le bras là ? Voudrait lui dire : « Pourquoi tu ne le quittes pas maman ? » Ne le dit pas, au prochain parloir peut être.

Il se repasse en boucle tous les évènements de ces derniers mois. Dernières semaines, bute invariablement sur ce dernier soir, revoit confusément comme un brouillard rouge emplir son cerveau. Seulement ça. Le brouillard et une vague de nausées. Le dégoût de lui. L’idée restée abstraite que Jérémiah était mort. Le corps, les coups, le sang ce n’est pas Jérémiah ce n’est pas lui…

– Pourquoi avait-il son couteau ? Parce qu’il le prenait toujours avec lui depuis qu’il l’avait reçu. Mais pourquoi ?

Comment expliquer aux enquêteurs que depuis tout petit il a un couteau ? C’est d’abord un petit opinel que lui a offert son parrain pour ses six ans, puis le couteau demandé lors d’une visite à Thiers l’année de ses douze ans… le dernier celui funeste de ses dix-huit ans. Les couteaux ca tranche et ca tient en respect mais Jonas ne s’en est jamais servi, jamais… Si on se moquait de lui, il suffisait qu’il empoigne dans sa poche le manche du couteau pour se sentir apaisé, pour se sentir plus fort…

Ici, il n’a plus de couteau il se sent nu, fragile et tellement seul aussi, bien qu’ en prison on ne soit jamais seul. Alors il en rajoute côté gros dur pour qu’on lui foute la paix….
Et il cantine, il cantine de l’oubli. On peut tout acheter en prison, on n’imagine pas lui a dit un détenu tout le valium qui circule et j’te raconte même pas pour les amphétamines !

Ici dans ses rêves quand le bruit de la prison s’apaise quelques part entre deux et quatre heures du matin, il le revoit lui Jérémiah, ses grandes écharpes colorées son rire, ses cheveux frisés jamais bien peignés volant au vent. Toujours si sûr de lui quand Jonas ne l’était jamais. Il la revoit elle comme elle était avant. La petite brune aux longs cheveux, l’odeur sucrée de ses baisers. Quand elle les aimait tous deux comme des frères, et le leur disait…. Comme des frères de sang.

Puis il le voit au sol, tout sanglant… Comme sur les photos qui accompagnaient le couteau… Crie « C’est pas moi je vous jure que c’est pas moi… », Si faort que l’écho de sa voix le réveille…

Mais au réveil, dans les raclements, les pets, les grognements de ses voisins de cellule, il est seul, seul avec son incompréhension. Pourquoi ?

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