Au marché

Anastasie l’a repéré dès son installation dans ce village, ou plutôt dès le samedi suivant, jour de marché. Dégingandé, Il alignait nonchalamment sur l’étal ses fruits et légumes. Il lui avait souri  » Que désirez-vous demoiselle ? Deux oignons, trois aubergines, un kilo de tomates et…  » Et ? A-t-il repris avec ce sourire délicieux qui semblait courir sur ses lèvres charnues. … « Et ton sourire, tes lèvres – s’est elle surprise à penser.- Non rien d’autre » a-t elle répondu en laissant échapper un petit rire nerveux. Son coeur s’est emballé comme en écho à la rafale de vent qui tout â coup à secoué l’étal.
« Oh oh » a dit l’homme retenant ses cagettes comme s’il calmait un cheval fou. Puis la scrutant « Et ? » a-t il répété. « Et ce sera tout merci » a-t elle balbutié.

Il s’appelle Auguste, oui, elle s’ est renseignée, le beau maraicher, celui qui lui met le coeur à l’envers, s’appelle Auguste, elle fait rouler ces trois syllabes avec gourmandise dans sa bouche toute la semaine. Elle ne vit plus que pour ces quelques minutes d’interraction, n’a jamais osé aller aller plus loin que ces quelques échanges mercantiles tandis que les aubergines laissaient la place aux poireaux, aux courges, aux choux…

L’automne s’installe progressivement quand un samedi la camionnette verte n’est plus à sa place, Auguste serait-il malade ? Le samedi suivant il n’est pas là non plus, ni les suivants …

Samedi après samedi, le coeur navré, elle passe devant l’emplacement vide. Le marché naguère si coloré, lui semble gris, et dès qu’elle arrive devant l’emplacement déserté, une chappe de plomb vient écraser l’espoir ténu qu’il soit revenu, c’est comme si chaque fois, la nuit tombait en plein jour. Un seul être vous manque et tout est dépeuplé disait sa mère et Anastasie en fait l’expérience cruelle. Si seulement elle connaissait son nom ! Si elle savait où il habite… Les légumes achetés à la maraîchère d’à coté n’ont pas la même saveur et Anastasie dépérit.

Puis un jour elle ose : . »Vous savez vous pourquoi il ne vient plus le maraîcher qui était sous le platane là à gauche? »

« Ah Auguste ? Il est parti s’occuper de ses parents qui vivent dans le midi… Puis voyant blémir la jeune fille -Oh mais rassurez-vous, il va revenir le joli coeur -s’esclaffe -t elle !- Pour les premiers semis il sera là »

Elle s’est sauvée sans rien acheter, est partie le rouge aux joues, le regard narquois de la maraichère lui brûlant la nuque. Ce n’est qu’à quelques mètres que les mots l’ont percutée.

Revenir, il allait revenir !!

Les premiers semis c’est en février, Anastasie calcule qu’Auguste ne devrait pas tarder… Le jour est revenu sur le marché…

Et un samedi …. La camionnette verte est là…et tout en alignant ses légumes sur l’étal, Auguste est là lui aussi qui lui sourit déjà !

Elle passe commande d’une voix étranglée, voudrait dire « vous m’avez manqué  » mais comme elle tourne ces mots dans sa bouche, Auguste propose : « Un café? » Et se tournant vers la maraîchère qui de son étal sourit aussi. Auguste ajoute : Clémence tu me gardes mon étal un moment ? »

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