Dans la série des mots un texte : Les petits carnets de Marie

La pieta contemple benoîtement le monde du haut de son église noire perdue au milieu des monts et des bois sombres, son regard que l’on imagine bleu sous sa frange de pierre est sans colère mais les jours de pluie ses joues ruissellent.

Elle semble d’en haut contempler les beaux alezans qui cantent dans le champ de course en contre-bas, semble s’étonner des marcheurs obtus qui inlassables grimpent les pentes qui la surplombent, semant sur leur passage ces petits tas de pierre que l’on nomme des cairns.

Qu’ont-ils donc tous à courir à leurs petites affaires, vouloir se surpasser les uns les autres au risque d’en oublier que la vie est là, dans la beauté des choses contemplées, non pas la beauté des choses usinées pour une visée commerciale mais les choses végétatives, de celles qui mettent en joie, la courbe d’un rocher, l’élan d’un arbre, ou animales l’éclair blond bondissant d’un lièvre ou d’une biche, la volée de pinsons, le déploiement soudain d’un aigle dans le ciel…

Ah si la pieta pouvait écrire, si ses pensées toutes soudain déployées à l’instar de l’aigle pouvaient nous parvenir, que nous dirait elle ?
Nous parlerait elle d’un monde où nous aurions vécu en conscience et fondus dans l’élément naturel ?

Le jour la pieta semble rêver, rêver peut être d’un monde où les hommes vivraient en harmonie avec leurs frères animaux, leurs cousins végétaux et minéraux, plutôt que de les aliéner, meurtrir et défigurer leur planète, creuser le trou de la couche d’ozone…, mais le soir elle vole, s’échappe de sa gangue de pierre, rejoint de par le monde toutes les petites Maries, autres Pietas, Maters dolorosas, Vierges à l’enfant, toutes mères chéries, épouses sacrifiées…

Ainsi toutes qu’elles soient de pierre, de bois, de terre, le soir s’échappent de leurs gangues et volent et passent au milieu de la plèbe endormie, souffrante ou travailleuse.

Leur vol qui se confond pour le contemplatif qui rêve à sa fenêtre à celui des chauves souris laisse à l’endormi comme au rêveur éveillé le souvenir vague d’avoir senti au coeur de la nuit comme un doux frou frou, la lente caresse de l’air déplacé attiédi du passage de ces fées de la nuit sur ses joues.

Notre Pieta vole au milieu des siennes ainsi toute la nuit mais dès que l’aube point elle est de retour sous sa gangue de pierre, son doux regard bleu pleure des rosées du matin et elle offre rêve de pierre, sa prière profane, au soleil levant qui tendrement dévoile ses formes et dans la brume légère,de ses doigts de feu, fait trembler sa minéralité au point qu’on la croirait faite de chair.

Ainsi elle s’offre à vos regards la pieta, comme la femme comblée d’un amour terrestre et s’endort tranquille jusqu’à la fin du jour.

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